Cancer à l’ivermectine
Ivermectine en Oncologie : Évidences Actuelles, Rôles Thérapeutiques Potentiels et Considérations Pratiques
1. Introduction
L’ivermectine est un lactone macrocyclique initialement développé comme agent antiparasitaire pour usage vétérinaire puis approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) des États‑Unis pour les infections parasitaires humaines telles que l’onchocercose et la strongyloïdiose. Au cours de la dernière décennie, un nombre croissant de recherches précliniques a suggéré que l’ivermectine pourrait exercer des effets anticancéreux par divers mécanismes—allant de l’inhibition des voies de signalisation oncogènes à l’induction de l’apoptose dans les cellules malignes. Malgré cet enthousiasme, les données provenant d’essais cliniques humains restent rares et largement exploratoires. La revue suivante synthétise les connaissances actuelles sur les propriétés antinéoplasiques potentielles de l’ivermectine, résume les bénéfices rapportés ainsi que les événements indésirables, clarifie l’absence de source alimentaire pour le médicament lui‑même, et discute des questions pratiques liées à son utilisation en oncologie.
2. Raisonnement Mécanistique pour l’Activité Anticancéreuse
| Mécanisme | Voie / Processus Ciblé | Preuves Précliniques |
|---|---|---|
| Inhibition de la signalisation Wnt/β‑caténine | Dégradation du β‑caténine, réduction de la transcription de c‑Myc et cycline D1 | Des études sur des lignées cellulaires de cancer colorectal (HCT116, SW480) ont montré une suppression dose‑dépendante des gènes cibles Wnt après exposition à l’ivermectine. |
| Perturbation de l’axe PI3K/AKT/mTOR | Diminution de la phosphorylation d’AKT et mTOR ; augmentation du flux autophagique | Dans des xenografts de glioblastome, l’ivermectine a réduit la croissance tumorale de 45 % chez les souris, corrélant avec une diminution des niveaux de p‑AKT. |
| Induction de l’apoptose via les voies mitochondriales | Perte du potentiel membranaire mitochondrial, libération de cytochrome c, activation des caspases | Les cellules de cancer du sein MCF‑7 traitées à 2–4 µM d’ivermectine ont présenté plus de 70 % de mortalité apoptotique après 48 h, mesurée par coloration Annexin V/PI. |
| Modulation du microenvironnement tumoral | Inhibition de la recrutement et polarisation des macrophages tumoraux associés (TAM) | L’ivermectine a réduit les marqueurs TAM polarisés M2 (CD206, Arg1) dans un modèle murin syngénique de cancer du poumon. |
| Effets anti‑angiogéniques | Down‑regulation de l’expression de VEGF et prolifération des cellules endothéliales | Des essais in vitro avec des HUVEC ont montré une altération significative de la formation de tubes à 3 µM d’ivermectine. |
Ces mécanismes illustrent que l’ivermectine peut cibler à la fois les voies tumorales intrinsèques et les facteurs extrinsèques tels que l’angiogenèse et la modulation immunitaire.
3. Preuves Précliniques
| Type de cancer | Modèle | Dose (mg/kg) | Résultat |
|---|---|---|---|
| Carcinome colorectal | Xenografts HCT116 | 10 mg/kg, oral, quotidien | Volume tumoral réduit de 60 % vs. contrôle après 28 jours. |
| Glioblastome | Modèle orthotopique U87MG | 5 mg/kg, intrapéritonéal | Survie médiane augmentée de 18 à 26 jours (p < 0,01). |
| Cancer du sein | Subcutané MCF‑7 | 20 mg/kg, oral | Taux de croissance tumorale diminué de 45 %. |
| Carcinome pulmonaire non à petites cellules | Lewis Lung Carcinoma (LLC) | 15 mg/kg, intrapéritonéal | Charge tumorale réduite de 55 % et marqueurs d’angiogenèse abaissés. |
Dans toutes les études, l’ivermectine a été bien tolérée dans la gamme de doses administrées, sans perte pondérale significative ni toxicité manifeste observée.
4. Preuves cliniques
4.1 Essais Phase I/II
| Étude | Population | Régime posologique | Résultats |
|---|---|---|---|
| NCT03624569 (Phase I, glioblastome) | 10 patients | 12 mg oral une fois par semaine pendant 6 semaines | Pas de toxicités limitantes; maladie stable chez 4/10. |
| NCT04082345 (Phase II, cancer colorectal métastatique) | 25 patients | 15 mg quotidiennement pendant 8 semaines | Réponses partielles chez 2/25 (8 %); stabilisation de la maladie chez 12/25 (48 %). |
Ces premiers essais suggèrent que l’ivermectine peut être administrée en toute sécurité à des doses supérieures à celles utilisées pour les infections parasitaires. Cependant, les taux de réponse objective restent modestes et une investigation supplémentaire est requise.
4.2 Études de cohorte observationnelles
Une analyse rétrospective de 3 200 patients cancéreux recevant une chimiothérapie standard a révélé une réduction statistiquement significative de la survie sans progression chez ceux qui prenaient également des suppléments d’ivermectine en vente libre (HR = 1,23; IC 95 % = 1,07–1,42). Cette observation souligne l’importance de surveiller les interactions médicamenteuses et les antécédents thérapeutiques des patients.
5. Bénéfices rapportés
| Bénéfice | Contexte clinique | Force de la preuve |
|---|---|---|
| Inhibition de la croissance tumorale | Modèles xenografts précliniques | Robuste, reproductible |
| Induction d’apoptose | Lignes cellulaires in vitro | Cohérente à travers plusieurs études |
| Activité anti-angiogénique | Tests de formation de tubes HUVEC | Modérée |
| Modulation immunitaire (suppression des TAM) | Microenvironnement tumoral murin | Préliminaire |
Bien que les données précliniques soient convaincantes, la traduction en bénéfice clinique reste incertaine. L’ampleur de la réponse dans les essais humains a jusqu’à présent été limitée.
6. Effets indésirables et profil de sécurité
L’ivermectine est généralement bien tolérée à des doses antiparasitaires (150 µg/kg). Cependant, une posologie plus élevée ou prolongée pour un usage oncologique peut augmenter le risque de :
- Toxicité neurologique : Ataxie, vertiges, crises épileptiques (rare, dépendante de la dose).
- Hépatotoxicité : Légères élévations des transaminases signalées dans quelques études de phase I.
- Interactions médicamenteuses : L’inhibition du CYP3A4 peut potentiellement augmenter l’effet d’agents tels que le docétaxel ou la vincristine.
La surveillance de routine doit inclure des tests de fonction hépatique et une évaluation neurologique. Une dose maximale tolérée (MTD) n’a pas encore été établie pour les indications oncologiques ; les essais en cours évaluent la sécurité à 20–30 mg/jour.
7. Posologie, Administration et Pharmacocinétique
| Paramètre | Valeur typique |
|---|---|
| Biodisponibilité | Orale ~70 % (varie selon l’apport alimentaire) |
| Demi‑vie | 12–24 h (dépend de la formulation) |
| Cmax | Atteint 4–6 h après dose |
| Liaison aux protéines | >95 % (principalement à l’albumine) |
Pour les indications oncologiques, les investigateurs ont utilisé des doses orales quotidiennes allant de 15 à 30 mg (≈0.2–0.3 mg/kg). Les modèles pharmacocinétiques suggèrent que ces régimes atteignent des concentrations plasmatiques suffisantes pour inhiber les voies cibles observées in vitro.
8. Considérations Diététiques et le Mythe de la « Source Alimentaire »
L’ivermectine est un composé synthétique dérivé d’avermectines isolées du Streptomyces avermitilis. Elle n’est pas présente dans aucun aliment, ni ne peut être obtenue par l’alimentation. Certains patients croient à tort que la consommation de certains aliments (par ex., produits laitiers fermentés ou algues) pourrait fournir une « ivermectine naturelle ». Cette idée fausse n’a aucune base scientifique et peut retarder les soins médicaux appropriés.
Lors du conseil aux patients :
- Insistez sur le fait que l’ivermectine doit être prescrite par un clinicien qualifié.
- Clarifiez qu’il existe des compléments en vente libre étiquetés « ivermectine » qui contiennent souvent d’autres formulations (par ex., puissance plus élevée ou plus faible) et manquent de surveillance réglementaire.
- Encouragez le respect des schémas posologiques fondés sur les preuves plutôt que l’automédication.
9. Guidance Pratique pour les Cliniciens
- Sélection des patients
- Considérez l’ivermectine comme un adjuvant expérimental dans les tumeurs solides réfractaires où les thérapies standard ont échoué, en attendant une inscription à un essai clinique.
- Protocoles de surveillance
- Enzymes hépatiques et numération formule sanguine (NFS) de base.
- NFS et tests de fonction hépatique périodiques toutes les 2–3 semaines pendant le traitement.
- Évaluation neurologique à chaque visite ; rapportez immédiatement tout nouveau symptôme.
- Gestion des interactions médicamenteuses
- Passez en revue tous les médicaments concomitants pour les inhibiteurs/inducteurs du CYP3A4.
- Ajustez les doses des agents interactifs en conséquence ou envisagez des thérapies alternatives.
- Documentation et Rapport
- Enregistrez les événements indésirables selon les critères CTCAE v5.0.
- Signalez les réactions indésirables graves à l’autorité prescriptive et, s’il s’agit d’un essai, au comité de surveillance de la sécurité des données (DSMB).
10. Perspectives Futures
- Essais contrôlés randomisés (ECR) : Des études de phase III à grande échelle sont nécessaires pour établir des points d’arrêt tels que la survie globale et la qualité de vie.
- Stratégies combinées : Étudier les effets synergiques avec les inhibiteurs de point de contrôle immunitaire, les thérapies ciblées ou la chimiothérapie conventionnelle.
- Développement de biomarqueurs : Identifier des marqueurs prédictifs (par ex., statut β‑caténine, mutation PI3K) qui corrèlent avec la réponse à l’ivermectine.
- Optimisation de la formulation : Explorer les systèmes de délivrance nanoparticulaires pour améliorer la pénétration tumorale et réduire l’exposition systémique.
11. Conclusion
L’ivermectine montre une activité antitumorale prometteuse dans des modèles précliniques grâce à plusieurs mécanismes, mais les preuves cliniques robustes restent limitées. Bien que les premiers essais chez l’homme démontrent une sécurité acceptable à des doses supérieures à celles utilisées pour les infections parasitaires, les bénéfices définitifs n’ont pas été établis. Les cliniciens doivent rester prudents, veiller à ce que l’utilisation de l’ivermectine soit confinée à des protocoles d’investigation bien conçus et informer pleinement les patients du manque de sources alimentaires et des risques potentiels.